Voilà donc que l'activisme bien mené de quelques grands distributeurs pour libéraliser le travail du dimanche et le travail de nuit semble trouver un écho favorable chez certains journalistes, y compris de gauche, chez certains politiques, y compris socialistes, chez les gens ordinaires, y compris ceux qui sont potentiellement impactés en tant que travailleurs.
Au nom de la liberté de chaque consommateur de pouvoir acheter tout, tout le temps, il faudrait donc accepter d'avoir une catégorie de citoyens qui subissent des horaires atypiques, en disant merci, en plus. Ceux qui s'opposeraient à cela seraient des bouseux de provinciaux qui n'auraient rien compris aux contraintes des grandes villes, ou des syndicalistes bolchéviques d'un autre âge.
Vraiment, je suis tombée assise de lire certains commentaires et arguments.
Devant cette offensive, je ressens le besoin de vous infliger ce billet. Lu et entendu, revue de gros et de détail.
"Après le travail, je vais faire du sport, c'est pratique de pouvoir faire les courses après"
Ben oui, mon gars, peut-être. Mais pour la plupart des gens, faire les courses, c'est une contrainte, une obligation, pas toujours au moment parfait. Ils font avec. Ils s'organisent. Faut-il donc des salariés ayant vocation (comme dit l'autre) à être au service de ceux qui veulent être libres de tout ?
"Qui n'est jamais allé au Monoprix après 21 heures ?"
Heu, moi... Déjà, après 20h, quand par exceptionnel il m'est arrivé de passer dans la galerie marchande qui est sur ma route, je me suis sentie mal à l'aise pour ceux, souvent celles, obligés d'être là pour quelques clients. Qu'une pharmacie reste ouverte, qu'un boulanger travaille la nuit, oui, on le comprend. Mais un impérieux besoin d'aller chez Séphora ou Monoprix après 21h, j'ai du mal à y croire.
"Je ne sors pas du boulot à 18 heures moi". "Si on m'enlève les dimanches et les soirées après 21h je ne sais pas quand je vais faire les courses"
Comment dire... Bien sûr, certains ont des contraintes. Des fausses, parfois (ah, les discussions de bureau surprises au moment des négociations 35h, où des hommes disaient que s'ils étaient obligés de partir à 19h30 ils devraient s'occuper de la marmaille à la maison...). Un peu de bonne foi ou d'organisation de base pour tout adulte raisonnable devrait suffire à les surmonter. Des vraies, parfois aussi, je le conçois bien. Mais alors, parce que des contraintes qui rendent la vie compliquée (horaires de travail, transports pénibles, logement trop loin,...) pèsent sur certaines personnes, il faudrait en ajouter à d'autres ? C'est générer une régression sans fin et laisser se développer des vies de fous. Ou alors, on peut aussi revenir à la source, lutter contre les causes, au lieu de générer d'autres problèmes avec de mauvaises solutions.
"Oui mais c'est sur la base du volontariat, les salariés sont plus payés" "Ce sont des étudiants, comment vont-ils payer leurs études?"
Alors là, il faut vraiment arrêter avec ça. Le volontariat, désolée mais ça n'existe pas ! Dans les discours de certains (en général qui n'ont jamais connu un travail salarié), dans les contes, oui, mais pas dans la vraie vie. Pour le reste, est-il normal de devoir compenser des salaires trop bas ou un pouvoir d'achat trop faible par des primes pour des horaires destructurés ? Est-il normal que des étudiants doivent travailler pendant leurs études ? C'est un bien beau cycle infernal qu'on voudrait nous vendre.
"Etes vous favorables à l'ouverture des magasins le dimanche ?"
Ah ben oui. Enfin, 100% des gens qui étaient dans les magasins de bricolage dimanche dernier répondaient ça dans ma télé. Tou m'étouna ! comme on dit en Limousin. Le microtrottoir associé disait que oui, ça pouvait être "pratique" (encore). Mais, et vous, seriez-vous prêts à travailler le dimanche ? demandait-il ensuite. Ah ben NON hein. Voilà voilà.
"On ne dira jamais assez tout le mal que la cgt a pu faire à la France depuis 60 ans"
Tant qu'à faire, autant en profiter pour en rajouter sur le dogmatisme de la cgt (ou d'autres syndicats, mais la cgt, c'est mieux, car ce sont des ROUGES comme chacun sait, qui étouffent des chatons au petit déjeuner en lisant la Pravda), et s'offrir une offensive anti syndicale en plus d'une offensive libérale.
"La liberté de penser s'arrête là où commence le code du travail", disait Laurence Parisot. C'est en substance ce que relaient tous ceux qui jugent inacceptable qu'on puisse s'opposer au travail de nuit (euh, oui, 22h, dites, c'est du travail de nuit), ou chercher à le limiter.
Car rappelons que les magasins Monoprix avaient été condamnés. Comme les magasins de bricolage ont ouvert illégalement ce dimanche. Et que le rôle d'un syndicat n'est certainement pas de s'asseoir sur le code du travail, mais de le faire respecter. De défendre les salariés, pas en cédant au classique chantage à l'emploi. Bien sûr, l'intérêt collectif se heurte parfois aux intérêts individuels. Les principes, les valeurs collectives, le long terme, doivent être confrontés ce que les salariés, en tant que personnes, expriment et souhaitent, à court terme. Il faut toujours entendre, parfois convaincre, souvent choisir. Tout syndicaliste sait cela et connaît ce dilemne des équilibres. Je pourrais donner de multiples exemples. Quoi qu'il en soit, un syndicat qui mettrait en avant la liberté de chacun à tout prix, pour moi, c'est le MEDEF ou un syndicat patronal, épicétou.
"Ce qui est incroyable c'est que la cgt puisse mettre son veto alors que les autres ont signé un accord"
Mouaaahahahaaa. Une affirmation bien péremptoire qui montre que son auteur ne connait rien au sujet. Et oui, bien sûr, un ou des syndicats majoritaires dans une entreprise peuvent faire valoir leur droit díopposition à un accord. C'est ce qu'avaient fait cfdt et cgt à Continental Toulouse. Ce n'est pas toujours simple à assumer, mais c'est démocratique, et c'est courageux. Au passage, c'est une avancée de la loi dite de modernisation sociale de Sarkozy, tiens donc.
Et alors, on fait quoi ?
Réconcilier le cerveau du consommateur et celui du citoyen, disait Arnaud Montebourg, pour mettre en avant le dilemme entre l'un qui veut le moins cher possible et l'autre qui veut des emplois de qualité en France.
Ce serait bien de le réconcilier aussi avec celui du travailleur.
Quant aux élus qui s'obstinent, au nom d'un soi disant pragmatisme, à risquer de détricoter les garanties collectives, au lieu de les défendre, rendez-vous aux prochaines échéances.